La disponibilité de l'acteur (Bataclown)

"Ce qui se passe dans les coulisses, avant d'entrer en scène, est important à cet égard. L'acteur s'y métamorphose. Outre le nez du clown, il en prend les oripeaux, c'est à dire les vêtements et accessoires qui structurent déjà son corps et qui, déjà incarnent sa fiction.

Comme la marée, il se retire pour laisser la place à cet inconnu avec qui il a rendez-vous et à qui il va donner vie. Cet "état étal" est nécessaire pour que le clown advienne, pour que l'acteur se transforme et qu'il entre dans l'état de clown. Alors l'entrée en scène correspond à la marée montante qui emporte l'acteur au-delà de lui-même.

Avant d'improviser, l'acteur se trouve à la fois vide et disponible envers "ce qui va venir". Vide, afin de ne pas élaborer à l'avance des plans qui seraient la négation même de l'improvisation, et disponible envers tout ce qui pourra se présenter comme images, impulsions, envies, émotions. Il ne s'agit donc pas d'un vide résigné ou paralysant mais d'un vide actif, tonique et chargé d'appétit. Le vide ne se rétracte pas sur lui-même, comme une outre. Il est ouvert et plein car il peut précisément accueillir l'étrangeté qui se manifester.

Tout se passe comme si on renonçait à contrôler mentalement la marche des choses. On se place en "contrôle flottant". Bien sûr, la volonté n'est pas abolie : c'est le volontarisme qui doit l'être. Comme dans la conduite sur du sable, on laisse les roues faire le travail. Le volant n'est tenu que d'une main légère et on n'intervient que par petites touches, pour éviter un obstacle ou se donner peut-être un vague objectif qu'on atteindra ou non.

Cet état de disponibilité fait de l'acteur un être hypersensible, doté d'antennes capables de percevoir les frémissements de son être et de son environnement. Il est disponible à ses émotions, à son imaginaire, à son corps, à sa voix, à sa parole, aux objets et au lieu qui l'entourent, à son ou ses partenaires, au public. Tout cela constitue une fantastique mine d'or à ciel ouvert où il ne reste plus qu'à puiser. Le danger serait plutôt le trop plein que le vide !"

Extrait du livre "Voyage(s) sur la diagonale du Clown En compagnie du Bataclown" éditions L'Harmattan